C'est quoi exactement le "Marché Gris" ?

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La question revient souvent : "Comment se fait il que l'on puisse trouver des montres de marque, neuves, à -20% / -30% sur le web? Sont-elles volées? Sont-elles défectueuses? Sont-elles garanties??".

En fait, ces montres sont ce qu'on appelle du Marché Gris.

Mais c'est quoi le marché gris ?

Pour la faire simple, le marché dit Gris est un marché en parallèle du marché normal, c'est à dire de celui passant par les distributeurs agréés.
Il n'est pas qualifié de Noir car il n'échappe pas aux reglementations (notamment fiscales) des pays.
Le principe est simple : les marques font signer des accords à leurs distributeurs dans les différents pays de la planète afin de leur imposer un certain nombre de choses, au nombre desquelles une visibilité pour leurs produits, un certain standing pour le point de ventes, des prix minimum (enfin, pas vraiment car c'est interdit dans bon nombre de pays mais chut !), des volumes minimum, un assortiment minimum (y compris des modèles invendables, ou presque), des exclusivités par rapport à d'autres marques, en l'échange de quoi, les marques fournissent Publicité sur Lieu de Vente (PLV), les catalogues, des campagnes de pub et bien sûr les produits.

Maintenant, les marges que les revendeurs font sur les montres sont presque imposées par les marques et, comment dire... confortables.
Certains revendeurs peuvent avoir du mal à respecter les volumes minimum imposés par les marques.
Du coup, certains autres revendeurs, non agréés eux, et dont la stratégie est de faire du volume au détriment de la marge, leur rachètent leurs stocks et les écoulent au prix qu'ils veulent, sans être membres du réseau de distribution agréé. C'est du marché Gris.
Enfin, les différences de prix public sur des marchés assez proches géographiquement peuvent encourager des revendeurs agréés à exporter très légalement (d'où le fait que ce ne soit pas du marché noir) mais contre les accords signés avec les marques (d'où le Gris) vers des pays voisins où les prix "imposés" par les marques sont plus élevés que dans leur propre pays, réalisant au passage une marge plus faible que s'ils avaient vendu les montres à des clients finaux, mais sur des volumes plus importants, et avec moins d'effort commercial.

Bien entendu, les marques font la chasse à ces circuits parallèles car cela les gène dans leur politique de distribution (qui consiste à s'octroyer des marges différentes selon les marchés vers lesquelles elles exportent pour que les prix finaux soient adaptés au niveau de vie du pays) et la sanction est le retrait de l'autorisation officielle de distribuer leurs produits.

Donc, l'achat d'une montre au marché gris ne présente pas le moindre caractère illégal. Acheter une montre au marché gris n'expose à aucun risque, ni son vendeur (pour peu qu'il soit en règle avec les lois du pays où il exerce son activité, mais ce n'est pas le problème de l'acheteur) car il a acquis la montre légalement, ni son acheteur pour les mêmes raisons.

Les montres ainsi achetées sont-elles garanties ?

Personne ne peut critiquer un passionné qui, pour aller le plus loin possible dans l’assouvissement de ses envies, cherche le meilleur prix. Cependant, il est dans l'intention de ce billet d’alerter sur la réalité d'une bonne affaire présumée.

De nos jours, il faut toujours faire attention aux "bonnes affaires", je crois que c'est une règle. La raison en est toute simple: le Père Noël n'existe pas, et les distorsions du marché liées à un déséquilibre de l’information tendent à disparaître. Sur internet plus qu’ailleurs puisque l’information circule de plus en plus vite et atteint de plus en plus de monde. Les derniers ignorants capables de se débarrasser pour quelques euros d’une vielle Patek Philippe, qui sonne, et ayant appartenu à un aïeul mais qui ne fonctionne plus car il faut probablement lui changer la pile sont en dehors de ces circuits virtuels.

A partir de là, il faut se rendre à l'évidence que si un prix est par trop attractif, c'est que, soit c’est une escroquerie, soit le service n'est pas le même.
En général, à la recherche d’un bon prix, on se dit que l’on peut se passer du service pour économiser quelques précieux euros. Certes, mais il convient alors de le faire en toute connaissance de cause.

Pour commencer, ce que l’on achète n'est pas un objets fait de métaux plus ou moins précieux, de plastique, de verre avec un peu d’huile mais bien un dispositif mécanique qui va indiquer l’heure, la date ou toute autre information faisant partie de la proposition, qui va résister plus ou moins selon ses caractéristiques aux agressions de l’extérieur, et qui va fonctionner pendant un temps raisonnable.

Cette dernière caractéristique est assurée, d'une part, par le soin qu'a mis le constructeur à concevoir et à construire le dispositif, et d'autre part, par une garantie du constructeur de le remettre en état si malgré toute cette attention le dispositif venait à présenter un défaut de construction le rendant inapte à remplir la fonction pour laquelle il a été vendu.

Dans ce débat, ce dernier point est plus qu’important.
En effet, le coût d’une remise en état est très élevé puisqu’il comprend, en théorie, l’acheminement de la montre aller/retour, sa prise en charge sur place et bien entendu sa réparation. Libre au constructeur de choisir la façon dont il va honorer son contrat. Soit directement, soit en sous-traitant la prestation à des ateliers spécialisés choisis et validés par lui (le plus courant). Mais cela n’est pas le problème du client.

A ce sujet, les montres dont le prix de vente sur le marché est inférieur à 150€ ne se réparent pas, elles se remplacent. Il en va bien évidemment de même pour les mouvements dont le coût de revient est bien souvent inférieur à 150€ (presque tous les ETA badgés sont dans ce cas). Et c’est toujours le cas pour les objets très peu chers, le coût (complet) d’une heure de main d’œuvre spécialisée en pays industrialisé est plus élevé que le coût de revient fabricant de l’objet lui-même.

Il faut donc comprendre que ce qui compte n’est pas le prix de l’objet, mais le prix de la fonction, complète, y compris sa remise en état en cas de problème, voire, dans certain cas, l’assurance de la continuité de la fonction pendant la remise en état du dispositif : comprendre le prêt d’une montre de remplacement pendant ce temps. Ce dernier service est un geste commercial réservé à une clientèle particulière puisqu’on est quand même dans le domaine de l’accessoire.

On voit donc bien qu’une garantie est une assurance, ni plus ni moins. Comme une assurance, d’ailleurs, une garantie semble coûter bien cher pour rien, jusqu’au jour où l’on en a besoin. La seule différence avec une assurance auto, c’est qu’elle n’est pas obligatoire proprement dit.

Il faut savoir qu’en Asie où le marché est d’une effervescence inimaginable, tout ce qui fait le prix d’un bien est négociable (concurrence oblige) : les acheteurs décomposent le prix du fournisseur (fabrication, y/c la sous-traitance du fabricant, transport, garantie, emballage, éléments du kit – boîte, docs, pochette, etc.) et choisissent de prendre ou pas certains éléments. La garantie de bon fonctionnement fait partie de ces éléments négociables.

Tous les fabricants ont le droit, et le font d’ailleurs, de vendre des montres "incomplètes", c'est-à-dire sans boîte ou sans garantie. Se déchargeant d’assurer une réparation à ses frais en cas de problème, le fabricant réduit son coût et peu donc en faire bénéficier son client.

Ces montres sans garantie constructeur sont ensuite vendues à des distributeurs lesquels choisissent alors de les vendre, soit sans garantie (on en trouve sur le Net), soit en assumant eux-mêmes le risque (car les clients ne sont pas toujours prêts à acheter des produits sans garantie et donc à prendre le risque eux mêmes).
C’est ce que l’on appelle vulgairement des "garanties magasin", très en vogue au US. En gros, en cas de problème, qu’il souhaite les plus rares possibles, le magasin remet en état la montre, à ses frais, assurant ainsi lui-même le service qu’il n’a pas acheté au constructeur.
C’est à lui de faire le calcul entre le coût possible de ces remises en état et l’économie qu’il fait à l’achat.

Bien sûr, libre à lui de fixer les conditions de cette garantie, à savoir qui paye le transport, qui assure le produit pendant le dit transport, les délais, etc. C’est ce que l’on accepte en cochant la petite case "j’ai lu et j’accepte les conditions générales de vente".

Une montre peut donc être vendue moins cher car elle n’est pas aussi "complète" que celle que l’on aurait achetée dans un magasin du réseau officiel, ou chez un autre revendeur qui, lui, l’aurait acheté accompagné de sa garantie constructeur.

Que retirer de cette lecture ?

Premièrement, ce qui fait le prix d’un bien est un ensemble de services, et que quand on rogne sur le prix d’achat, on rogne forcément sur quelque chose. Le consommateur moyen pense rogner sur la marge de ces richards d’intermédiaires, certes il le fait, mais l’exercice a une limite, bien plus proche qu’il ne le pense.
Les acteurs de la filière ne sont pas des philanthropes, et ils se servent en premier, préservant leur marge à des niveaux suffisant pour que leur travail soit rémunérateur.

Si le prix final proposé défie toute concurrence, c’est que le produit n’est pas le même que celui de la concurrence… tout simplement.

Du coup, le calcul que le vendeur fait pour décider d'assumer le risque de la remise en état d'une montre défectueuse est le même que celui que tout acheteur devrait faire avant d'accepter ses conditions de vente. Pas un autre.
Les questions à se poser sont :

Si la réponse est oui aux deux questions, alors on peut acheter la montre. Si par contre, la réponse est non à l'une d'elle, il faut passer son chemin.
La mauvaise question, celle que l’on se pose pourtant en pareille situation, est : cette montre va t'elle tomber en panne ? Car la réponse est "peut-être".

Je passe ici sur la TVA et les droits de douanes qui doivent être acquittés, et bien entendu, sur la contrefaçon.

Reste à traiter le cas des garanties constructeurs et ce qui les rend valides.

Je tiens à préciser que sur ce dernier point, mon expérience et mon approche sont business, pas légales.
Nous parlons là des garanties "Constructeur" et non pas des garanties assurées par les distributeurs (qui refacturent les intervensions sous garantie aux marques quand ils les réalisent eux même), et internationales. Selon ce que j'ai écrit quelques lignes au dessus, si le fabricant à fourni une carte de garantie, c'est qu'il est prêt à l'assumer, et donc qu'il a inclu celà dans le prix de cession de la montre au revendeur, son propre client.

La seule contrainte est alors d'avoir le tampon d'un revendeur officiel et une date de vente (pour dater le début de la garantie) sur la carte.

Bien sûr, vu que c'est soit sur cette base, soit sur celle des numéros de série que les revendeurs officiels alimentant le marché gris se font attraper, parfois ils liment les numéros de série et/ou ne tamponnent pas les cartes. Et là, c'est tant pis pour l'acheteur, pas de garantie. Encore que ça aussi, ça se discute. Si les numéros n'ont pas été limés, la garantie contre les vices de fabrication est obligatoire dans certains pays, dont tous les pays de la CEE, et pour 2 ans minimum dans cette dernière. Avec un peu de patience et quelques conseils, on doit pouvoir obtenir gain de cause.
Ceci dit, de toute façon, un revendeur qui pratique le parallèle revendra mieux ses montres si les cartes sont tamponnées.

Toujours est il que de nombreux revendeurs "gray market" disposent de montres neuves, en parfait état, pas limées et avec tampon officel d'un revendeur agréé.

Au passage, les modèles à n° de série limé sont à fuir car cela peut cacher une origine beaucoup plus douteuse, celle du vol. De plus, ces montres sont absolument impossibles à faire réparer dans le circuit officiel, ce qui en limite fortement l'intérêt.

Ah oui, j'oubliais, il y a une autre source de montres pour le marché gris, ce sont les montres en stock chez les horlogers qui ferment ou qui arrêtent une marque. Dans ce cas, ils n'ont aucun problème à revendre leur stock tamponné car ils ne risquent plus rien vis à vis de la marque, et pour cause.

Bruno

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